Tu m'avais dit Ouessant by Abolivier Gwenaëlle

Tu m'avais dit Ouessant by Abolivier Gwenaëlle

Auteur:Abolivier, Gwenaëlle [Abolivier, Gwenaëlle]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Mot et le reste
Publié: 2019-10-15T22:00:00+00:00


XIII

Chaque jour, et depuis le premier, je vais et viens sur l’île, poursuivant ma déclaration d’amour à la vie, à la mer, à la Bretagne, au monde entier. Je continue de voir des regards qui dansent comme des postures de flamme gitane, donnant à l’ensemble de l’île une puissance tandis que, dans les larges ciels, voyagent les nuages lourds de pluie. Les semaines s’écoulent et les visages s’adoucissent, beaucoup ont compris ma démarche d’écriture et mon désir d’immersion.

Le jour où l’on raccompagne son amour, un ami, ses parents au bateau, l’île se révèle toute autre. Éliane et Pierre, Thierry et Alexis m’ont fait l’immense joie de venir partager quelques jours au sémaphore. Nous avons arpenté l’île ensemble, nous avons regardé les lumières du couchant ensemble, nous sommes montés en haut du grand phare ensemble, nous avons fait silence ensemble, face à l’énormité du lieu.

Dans la convergence des optiques,

l’île s’est mise à exister quand tu es reparti

Quand on suit le bateau du regard et qu’il disparaît derrière le cap de terre pour ne laisser qu’un souffle de nuage aussi vite effacé par le vent

c’est un soupir d’absence qui s’abat

En même temps qu’au large

le soleil est ce festin bu par la mer

Le ciel et la mer tout alentour deviennent cette grande absence

une flaque de douleur dans la nacre du soir

La lumière qui crève l’horizon devient la seule consolation avec l’écriture pour tenir en ces lieux

Dans la convergence des optiques

Quand le bateau est reparti

Mon amour pour toi s’est étoffé de la distance

L’île t’a rendu à moi

C’est l’éclat du bonheur furtif qui nous fait croire que tout est à nouveau possible

Jamais encore en regardant le large, l’horizon ne m’a paru aussi sauvage et traître. L’île et la mer, si multiples et changeantes, montrent soudain d’autres facettes. On pense alors à toutes ces femmes qui ont supporté les départs répétés de leurs marins de maris, de leurs frères et de leur père avant que leurs fils leur annoncent leur premier embarquement. On comprend mieux leur retenue et leurs visages secrets aussi.

Je comprends au fil de mes rencontres que si les hommes ont apporté dans leur nomadisme une modernité et une autre conception du monde, les femmes, elles, sont gardiennes de la tradition. Quand les hommes sont plus révolutionnaires ou réformateurs, les femmes sont plus conservatrices. Longtemps bretonnantes, elles sont catholiques et redoutaient ce qu’elles ne connaissaient pas. Je sais maintenant qu’il ne fut pas toujours évident pour les hommes, lorsqu’ils revenaient de leurs embarquements, de retrouver leur place. Dans cette difficile rencontre, on devine qu’il fut délicat aussi pour les femmes de trouver chaussure à leur pied. Sans oublier les enfants qui grandissaient sans père et on peut imaginer le manque énorme que cela représentait dans la construction des adultes qu’ils allaient devenir.

Il faut savoir lire derrière ces regards, parfois mélancoliques. Il fut un temps relativement lointain où, sur Ouessant, le médecin de marine avait noté de nombreux cas de dépression et d’hystérie, de femmes prostrées dans une forme de neurasthénie liée à la pression de responsabilités non partagées, à la monotonie et à l’enfermement d’une vie entre elles.



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